Où l'on apprend qu'un poulet ne se transporte pas tout seul

Une marque visant des produits peut antérioriser une marque visant des services si le public pertinent considère ces produits et ces services dans leur complémentarité. En l'espèce, des services commerciaux peuvent être jugés similaires à de la viande à l'égard d'un public professionnel.
TPIUE, 14 mai 2013, n° aff. T-249/11

On aurait pu croire qu'en droit des marques, les produits vivraient séparément des services et que les uns ne pourraient jamais être considérés comme similaires aux autres. L'arrêt commenté revient sur ce préjugé.

S. est propriétaire d'une marque graphique nationale figurant un poulet et ne visant que des produits à base de viande. En 2008, M. dépose une marque graphique très ressemblante auprès de l'OHMI. Si la demande vise les « poulets », elle vise aussi divers services commerciaux.

L'opposition qui est alors formée n'aboutit par deux fois qu'à un refus partiel de la demande. L'OHMI considère que des services commerciaux ne sont pas similaires à de la viande et s'abstient donc de comparer les signes.

Ce faisant, l'Office a-t-il commis une erreur ? Le Tribunal relève que l'OHMI a bien identifié le public pertinent. Les services commerciaux s'adressent à des professionnels. Mais l'appréciation par l’Office de la similitude de tels services avec la viande est critiquée.

La différence de nature entre un produit et un service ne permet pas d'exclure une complémentarité entre eux. Ils peuvent être similaires, même si l'un ne peut se substituer à l'autre. Autant dire que la similitude n'implique pas que les secteurs économiques concernés par les produits et services en cause soient concurrents : la viande ne concurrence pas un service commercial, mais peut lui être complémentaire malgré tout.

Dès lors, l'erreur de l'Office est d'avoir occulté le fait qu'à l'égard de professionnels, un acheteur de volaille en gros peut s'attendre à ce qu'un producteur vende ses produits en proposant en sus un service commercial. Ledit service n'est pas induit par la simple exécution du contrat de vente, mais comporte un intérêt économique en soi. C'est pourquoi le public pertinent peut ici être amené à déduire de la proximité des marques un lien entre les parties. Un acheteur de poulets pourrait croire à un lien entre le vendeur et le transporteur de poulets, par exemple.

Ainsi un produit peut-il — si l'on ose dire — franchir la barrière des espèces le séparant d'un service, et réciproquement...