Point de départ du délai pour agir en revendication d'un brevet européen

La Cour de cassation fait produire à l'article L. 614-13 du CPI un effet procédural qui, en pratique, étend sensiblement le temps pour agir en revendication d'un brevet produisant ses effets en France.



Cass. com., 7 janv. 2014, n° 12-28883

« L’action en revendication se prescrit par trois ans à compter de la publication de la délivrance du titre de propriété industrielle », énonce l’article L. 611-8 du CPI. La formulation des deux éléments nécessaires pour apprécier la recevabilité d’une telle action apparaît donc clairement ; le point de départ du délai, parfois délicat à fixer en application de l’article 2224 du Code civil, correspond, en cette matière, à une date fixée par l’office des brevets. Le présent arrêt montre pourtant que la détermination du point de départ peut se révéler délicate lorsque le brevet européen revendiqué s’est substitué à un brevet français.

En l’espèce, le titulaire d’un brevet français obtenu en juin 2000 et d’un brevet européen couvrant la même invention, dont la délivrance fut publiée en juillet 2002, fut assigné en revendication du titre européen. Engagée en novembre 2004, l’action en revendication du titre national était, sans aucun doute, prescrite, en revanche, s’agissant du titre européen l’hésitation était permise.

Par un arrêt infirmatif en date du 11 septembre 2012 (CA Colmar, 11 sept. 2012, n° 08/01612 : Propr. industr. 2013, comm. 8, obs. P. Vigand), la cour d’appel de Colmar déclara l’action irrecevable comme prescrite. Elle considéra que la date de la délivrance du brevet français devait être l’amorce du délai ; son arrêt est cassé au motif que « le brevet européen, en ce qu'il désigne la France, s'étant substitué totalement au brevet français à compter du 3 avril 2003, soit antérieurement à l'introduction de l'action en revendication, le délai de prescription triennale pour agir en revendication du titre européen n'a commencé à courir qu'à compter du 3 juillet 2002 ».

L’hésitation provient du lien étroit qui unit le titre national et le titre européen dans son expression française : il s’agit de la même invention décrite et revendiquée de manière apparemment identique, le titre européen ayant été obtenu sur la base d’une priorité invoquée lors du dépôt du titre français. Au regard de ce lien, la cour d’appel en déduisit la « nécessaire solidarité des prescriptions ».

En visant l’article L. 614-13 du CPI, la Cour de cassation fait donc produire un effet procédural au mécanisme de substitution décrit par le premier alinéa de ce texte. Il est précisé que le brevet français cesse de produire ses effets lorsque le brevet européen délivré se trouve consolidé par la disparition du risque d’une opposition. Ainsi, lorsque l’action en revendication est engagée (nov. 2004), le brevet français est déjà éteint par le jeu de la substitution qui s’est produite en avril 2003. Le point de départ ne peut être, à suivre la Cour de cassation, que la date de publication de la délivrance (juill. 2002) du seul titre en vigueur au jour de l’assignation. Il y a cependant un artifice à computer ainsi le délai, car la solution n’est obtenue que si l’on raisonne à rebours, c’est-à-dire en partant de la date de l’assignation pour remonter le temps de trois années. On rencontre alors en premier lieu l’événement décisif de la substitution, puis celui de la publication. Mais, si l’on suit la chronologie normale des choses, à la date de la publication, il n’est pas possible d’agir ne sachant si et quand substitution il y aura.

L’effet pratique de cette solution est de permettre un allongement du temps pour agir en revendication d’un titre produisant ses effets sur le territoire français.

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